samedi 17 septembre 2011

Facteurs de risque des cancers de la cavité buccale, du pharynx (cavum exclu) et du larynx


pronostic de ces cancers reste médiocre, 35 à 40 % à 5 ans tous
stades et localisations confondues [5]. Un des moyens de faire
baisser la mortalité de ces cancers est la prévention primaire
mais cela nécessite, entre autres, d’individualiser parfaitement
les facteurs de risque susceptibles d’être impliqués dans la
survenue de ces tumeurs.
Même si l’alcool et le tabac demeurent les 2 toxiques majeurs
identifiés, il semble que d’autres facteurs, notamment environnementaux
et alimentaires, puissent être liés à la survenue des
cancers des VADS chez des patients non alcoolotabagiques. Le
but de notre travail était de faire le point sur les facteurs de
risque des cancers de la cavité buccale, du pharynx et du larynx
à partir des données de la littérature.
Méthodes
La recherche documentaire s’est faite à partir de la base de
données informatisée Medline (1980–2007) en utilisant
comme mots clés : « head and neck cancer », « squamous
cell carcinoma », « Tobacco », « Alcohol »,
« epidemiology », « carcinogen », « oncogenesis ». Ont été
exclues de ce travail toutes les publications relatives au cancer
du rhinopharynx compte tenu d’une épidémiologie très particulière
liée à ce type de cancer et de la nature histologique des
tumeurs rencontrées dans cette localisation anatomique.
Seules les publications traitant des cancers malpighiens de la
cavité buccale, de l’orohypopharynx et du larynx ont été
retenues.
Les auteurs de ce travail ont fait une première sélection
d’articles. Une seconde sélection a été faite par un médecin
ORL senior à partir des premiers articles sélectionnés. Des
études antérieures citées dans les articles retenus, ou ne faisant
pas partie de la base de donnée, ont été incluses en fonction de
leur pertinence. Quatre types d’études ont été sélectionnés :
e´ tudes e´ pide´ miologiques ;
e´ tudes toxicologiques ;
e´ tudes cliniques ;
recherche fondamentale.
Les facteurs de risque retenus l’ont été en fonction de leur
fréquence d’apparition dans les études.
Parmi les études cliniques, seules celles comportant un nombre
important de patients (>50) ont été retenues. Pour ces publications,
notre travail s’est appuyé sur le guide d’analyse de la
littérature et gradation des recommandations (A, B, C), publié
par l’Anaes en janvier 20006, afin d’évaluer le niveau de preuve
apporté en fonction de différents critères résumés dans le
tableau I.
Pour les études fondamentales, seules les publications
émanant d’équipes reconnues pour leurs travaux dans le
domaine de la cancérogenèse des cancers des VADS et décrivant
un mécanisme de cancérogenèse ont été retenues.
S’agissant d’une étude descriptive, il n’a pas été réalisé de
méta-analyse statistique.
Résultats
La recherche sur la base informatisée Medline a permis de
retrouver 258 articles. Après la première sélection opérée par le
groupe de lecture, 110 articles ont été retenus. Après relecture
par le médecin ORL senior, 77 ont été définitivement retenus. Si
l’on exclut les publications de l’OMS [3] et la classification de
l’Anaes [6], parmi les 75 publications restantes, 29 concernaient
des études épidémiologiques, 18 des études fondamentales,
17 des études toxicologiques et 11 des études cliniques.
Dans le chapitre qui suit, pour les études cliniques, le niveau de
preuve selon la classification de l’Anaes est indiqué entre
parenthèses.
Tabac
Le tabac peut être fumé, prisé ou chiqué. En France, le tabac
prisé et à chiquer est d’utilisation très marginale et représente
moins de 0,4 % du tabac consommé [7]. Le tabac à chiquer est
beaucoup moins toxique, mais il peut donner lieu à des cancers
des lèvres ou de la face interne des joues, car il peut être
mélangé à d’autres toxiques que sont la chaux, les feuilles de


Tableau I
Niveaux de preuve scientifique fournis par la littérature et force
des recommandations (Anaes, 2000)
Niveau de preuve scientifique fourni
par la littérature
Force des
recommandations
Niveau 1 Grade A
Essais comparatifs randomisés de
forte puissance
Preuve scientifique
établie
Méta-analyse d’essais comparatifs
randomisés
Analyse de décision basée sur des
études bien menées
Niveau 2 Grade B
Essais comparatifs randomisés
de faible puissance
Présomption
scientifique
Études comparatives non
randomisées bien menées
Études de cohorte
Niveau 3 Grade C
Études cas-témoins Faible niveau de preuve
Essais comparatifs avec série scientifique
historique
Niveau 4
Études comparatives comportant
des biais importants
Études rétrospectives
Séries de cas
Études épidémiologiques descriptives
(transversale, longitudinale)


bétel, et les noix d’Arèque ; ce type de consommation est très
répandu en Inde, à Taiwan et dans de nombreux pays d’Asie du
Sud-Est, mais également dans les populations migrantes issues
de ces régions géographiques [8]. L’utilisation du tabac sous
cette forme est tenue responsable d’une très forte augmentation
de l’incidence dans ces pays, de la fibrose sous-muqueuse
de la cavité buccale, en particulier chez les sujets jeunes et
indépendamment de la durée de consommation. Il s’agit d’une
lésion prénéoplasique qui est irréversible et sans traitement
connu. Le pourcentage de dégénérescence en carcinome malpighien
est particulièrement élevé.
Cependant, même utilisé seul, le tabac chiqué est toxique. C’est
ainsi que Schantz et Guo-Pei [9] ont attribué l’accroissement
des cancers de la langue chez les jeunes adultes aux États-Unis
à la forte augmentation de tabac à chiquer, confirmant le
rapport de l’International Agency for Research on Cancer (IARC)
de 1985 [10].
Aucune donnée épidémiologique concernant le tabac à priser
n’était disponible dans la littérature.
En France, c’est en 1954 qu’une première étude rétrospective
de 4000 malades atteints de cancers des VADS et un nombre
égal de sujets témoins non fumeurs a permis d’établir une
différence significative entre les 2 groupes, et donc d’imputer le
tabac comme facteur de risque [7]. Vingt ans plus tard en
Grande-Bretagne, Doll et Peto démontraient que le risque de
mortalité par cancer des VADS chez les fumeurs par rapport aux
non-fumeurs était augmenté de 2 à 12 en fonction de la
localisation, à l’exception des cancers des cavités rhinosinusiennes
et du cavum [11] (grade C). La corrélation entre le
risque accru de cancer chez les fumeurs et le siège du cancer est
probablement liée aux modalités du passage de la fumée de
tabac au contact des structures anatomiques, le contact se
faisant successivement avec les lèvres, la cavité buccale, l’oropharynx,
l’hypopharynx et le larynx. Szekely et al. [12] ont
montré que la sensibilité de la muqueuse au tabac et à l’alcool,
et donc le risque de développer un cancer, était décroissante de
la cavité buccale vers le larynx, avec un risque maximal au
niveau buccopharyngé, probablement par un contact plus étroit
et prolongé de la muqueuse avec les agents toxiques.
La consommation de cigarettes est la plus répandue, loin
devant celle du cigare et de la pipe. Une cigarette se compose
de 1 g de tabac, enrobé de papier qui est fait de chanvre, de lin
et autres ingrédients pour améliorer sa combustibilité. La
fumée de cigarette résulte de la combustion incomplète du
tabac. Elle contient 5 milliards de particules/mL ; ces particules
proviennent de la zone de combustion et sont générées par 3
réactions qui se produisent simultanément :
une pyrolyse qui de´ compose le tabac en petites mole´ cules ;
une pyrosynthe` se avec production de nouveaux composants ;
une distillation de certains composants du tabac. L’intensite´ de
ces re´ actions est directement lie´e a` la tempe´ rature de
combustion.
Physiopathologiquement, au sein de ces particules, 4 groupes
de substances sont distingués :
la nicotine ;
le monoxyde de carbone (CO) ;
les irritants (phe´ nols, alde´ hydes, acrole´ ı¨ne) ;
les substances cance´ rige` nes regroupe´ es en sous-classes dont
les 3 plus importantes sont les nitrosamines spe´ cifiques du
tabac, les arylamines et les hydrocarbures aromatiques
polycycliques dont le plus connu est le 3,4-benzo(a)pyre` ne
(3,4-BaP).
Les substances cancérigènes sont, pour une partie d’entre elles,
dissoutes dans la salive. Il s’agit en fait, pour la plupart, de
procarcinogènes inactifs rendus actifs grâce aux cytochromes
P450 1A1 [13]. C’est ainsi que le 3,4-BaP est transformé en un
carcinogène actif : le benzo (a) pyrène-diol-époxide. Des
travaux ont montré que le benzo (a) pyrène-diol-époxide
agissait directement sur l’ADN (acide désoxyribonucléique),
plus précisément au niveau des exons 4, 5, 6, 7 et 8 du
gène TP53 [14,15], gène clé dans la carcinogenèse des cancers
des VADS [16]. Il existe d’autres sous-classes de produit regroupant
plus de 50 substances cancérigènes [17].
Nous notons que le CO et la nicotine ne sont pas classés parmi
les substances cancérigènes. Toutefois, concernant la nicotine,
une étude faite in vitro sur des lignées cellulaires de cancers des
VADS a montré qu’elle pourrait être impliquée dans l’altération
du mécanisme d’apoptose [18]. Ce travail n’a jamais été
confirmé par d’autres études.
Le risque de cancer croît avec l’intensité et l’ancienneté du
tabagisme, avec une relation « dose-effet ». Le seuil critique se
situerait à 20 paquets-années, ce qui correspond à une
consommation d’un paquet de cigarettes par jour pendant
20 ans. Outre la consommation et l’ancienneté du tabagisme,
d’autres facteurs entrent en jeu :
l’inhalation de la fume´ e, qui augmente le risque [19] ;
la longueur du me´ got, car c’est dans le me´ got re´ duit que
s’accumule le plus de substances toxiques ;
le filtre dont le roˆ le reste controverse´ , diminuant le risque pour
certains auteurs, ne changeant rien pour d’autres [19] ;
le type de tabac, le tabac brun e´ tant plus toxique [20].
La cigarette est plus toxique que le cigare car celui-ci ne
comporte pas de papier, ce qui engendre une température
de combustion moins élevée et donc une production de particules
moins importante ; il en est de même pour la pipe [19]. Le
tabagisme passif a été mis en cause dès le début des années
1980, le risque cancérigène pour un conjoint non fumeur étant
de 3 par rapport à un sujet témoin non exposé [7].
La poursuite de l’intoxication tabagique après guérison d’un
premier cancer facilite l’apparition d’un second cancer des
VADS. Dès le début des années 1980, Silvermann et al. avaient
montré que la fréquence d’apparition d’un second cancer était
de 18 % chez le sujet ayant arrêté de fumer et de 30 % en cas
de poursuite de l’intoxication tabagique [21] (grade C).