samedi 17 septembre 2011

Le Maillon Faible - Stomatologie


grands-buveurs, non-fumeurs », et à 15,5 chez les « grandsbuveurs,
grands-fumeurs ». Ces résultats ont été confirmés par
les travaux de Tuyns et al. [45] (grade C) à la fin des années
1980.
En termes de localisations, plusieurs études ont mis en évidence
que les 3 localisations les plus fréquentes parmi les
cancers des VADS en cas d’intoxication alcoolique étaient :
la cavite´ buccale ;
l’oropharynx ;
l’hypopharynx.
Dans une étude menée par l’Institut Curie à la fin des années
1980, si le RR était de 1 chez les buveurs de moins de 40 g
d’alcool/24 h, il s’élevait chez les buveurs de 160 g et plus à
67,8 pour le larynx, 88,7 pour l’oropharynx, 257.,5 pour l’hypopharynx
et 579 pour la cavité buccale [46]. Le risque particulièrement
élevé en ce qui concerne la cavité buccale a été
confirmé [47].
Autres facteurs de risque
Facteurs viraux
Le rôle des virus dans la genèse des cancers des VADS reste
incertain. Il n’y a pas de preuve de la relation causale entre ces
cancers et les adénovirus, les cytomégalovirus, le virus varicelle-
zona (VZV), le virus herpétique humain 6 (HHV-6). En
revanche, d’autre virus sont incriminés. Ce sont les virus de la
famille des Human Papilloma Virus (HPV) [48,49].
Une étude épidémiologique rétrospective portant sur 292
patients atteints d’un carcinome des VADS et 1568 sujets
témoins a montré, par détermination de la séropositivité
HPV-16, que le risque était significativement associé à l’infection
par l’HPV16 (RR = 2,2) ; dans cette étude, les auteurs ont
montré que le risque était dépendant du site anatomique, avec
un niveau particulièrement élevé dans les cas de tumeurs de
l’amygdale (RR = 10,2) et de la base de langue (RR = 20.7), par
rapport aux autres localisations [15]. D’autres études ont
montré la présence de particules virales en plus grande quantité,
50%en moyenne, dans les tumeurs de la cavité buccale et
de l’oropharynx, par rapport à la muqueuse normale et ce, qu’il
y ait ou non intoxication alcoolotabagique [48,50]. C’est ainsi
que Smith et al. ont montré l’intérêt de rechercher l’HPV dans
les cellules épithéliales de la cavité buccale collectées par
brossage, pour l’identification des patients à risque de développer
un carcinome épidermoïde, indépendamment du degré
d’intoxication alcoolotabagique [51].
En revanche pour les tumeurs du larynx, alors que la papillomatose
laryngée est liée à l’infection par HPV, le risque de
dégénérescence est faible et semble plus lié à une intoxication
tabagique concomitante [52].
Deux types d’HPV sont carcinogènes : les HPV 16 et 18. Pour
certains auteurs, ils agiraient en entraînant soit une mutation
de TP53, soit une inactivation des protéines p53 et Rb par
l’intermédiaire de 2 oncoprotéines virales E6 et E7 [53]. Pour
d’autres auteurs, ils n’interviendraient que comme cocarcinogènes
[54].
Même si les études ne sont pas unanimes quant à la participation
de l’HPV dans la cancérogenèse des carcinomes des VADS,
il est vraisemblable que cet agent infectieux rende compte
d’une partie des carcinomes des VADS diagnostiqués chez les
patients n’ayant pas d’intoxication alcoolotabagique (5 à 10 %
en fonction des études) [40].
Cannabis
Déjà signalée par Almadori [55] en 1990 en Italie, la consommation
de marijuana fait actuellement l’objet d’études aux
États-Unis pour expliquer l’augmentation des cas chez les
adultes de moins de 40 ans atteints de cancer des VADS, en
particulier de la langue mobile [7]. Ces études épidémiologiques
sont appuyées par des données expérimentales sur des
modèles animaux [56].
Le risque de développer un cancer des VADS avec la marijuana
est dose-dépendant (fréquence et durée de l’intoxication) [57].
Par ailleurs, il existe souvent une consommation de tabac et
d’alcool simultanée, ce qui rend difficile la détermination du
rôle respectif de chacun des toxiques. Des études épidémiologiques
avec des analyses statistiques multivariées sont donc
nécessaires.
État dentaire
Il est habituel de souligner le mauvais état dentaire des
patients pris en charge pour un cancer des VADS. Toutefois il
est difficile de faire la part entre ce qui pourrait être le reflet
d’un contexte socioculturel et ce qui serait un agent causal
incontestable. Nous pouvons malgré tout supposer que les
traumatismes dentaires répétés sur des chicots dentaires, les
modifications du pH salivaire engendrées par une infection
chronique peuvent avoir un rôle, au moins comme cofacteurs,
dans la genèse de ces cancers [58] (grade C).
Seule une étude chinoise a conclu qu’un mauvais état dentaire
pouvait être un facteur de risque indépendant pour les cancers
de la cavité buccale [59] (grade C). Toutefois, la plupart des
études tendent à montrer que l’impact de l’alcoolotabagisme
prévaut largement sur le contexte dentaire ou prothétique
dentaire.
Facteurs nutritionnels
Un cas particulier mérite d’être individualisé, celui du syndrome
de Plummer-Vinson ou Kelly Patterson, décrit simultanément
et respectivement aux États-Unis et en Grande-
Bretagne [7]. Il s’agit d’un syndrome associant une anémie
sidéropénique et une atrophie des muqueuses digestives,
retrouvé dans 50 à 90 % des cas de cancers de la région
du rétrocricoïde (sous-localisation hypopharyngée), notamment
chez la femme, et ce en dehors de toute exogénose.
L’amélioration de la diététique avec l’apport de fer dans


l’alimentation a fait chuter radicalement la fréquence de ce
syndrome et de ce type de cancer [60].
Les carences vitaminiques, notamment en vitamines A [61] et C
[62], liées à une alimentation mal équilibrée faciliteraient
l’éclosion des cancers d’une façon générale par l’intermédiaire
d’une accumulation de radicaux libres [63]. La moindre incidence
des cancers en cas d’alimentation riche en légumes et en
fruits est incontestable ; c’est ainsi que le risque de cancer de
l’oropharynx et de l’hypopharynx est 3 à 5 fois moindre selon
l’importance relative de ce type d’aliments [4]. L’alimentation
mal équilibrée avec un excès de consommation de graisses
d’origine animale, qui caractérise les patients ayant un cancer
des VADS, pourrait être l’expression d’un contexte socioéconomique,
ou la traduction des désordres générés par l’alcoolisme
autant que d’être de réels facteurs épidémiologiques ; la valeur
statistique de leur association au risque de cancer diminue
notablement lorsque les données sont ajustées sur le tabac et
l’alcool [64] (grade C).
En raison de l’implication probable de carences vitaminiques
dans la cancérogenèse des cancers des VADS, des essais
thérapeutiques basés sur l’administration de dérivés de la
vitamine A ont été réalisés. Mackerras et al. ont montré que
la prise de bêtacarotène pouvait diminuer le nombre de cancers
des VADS [65] (grade C). Dans une première étude, Hong et al.
avaient montré que l’administration d’un dérivé de la vitamine
A, l’isotrétinoïne, pouvait prévenir l’apparition d’un second
cancer, chez les patients ayant déjà eu un cancer des VADS
[66] (grade B) ; ces résultats ont été infirmés par la même
équipe [67] (grade A), dans une étude randomisée de phase III
ayant inclus plus de 1000 patients. Dans le groupe de patients
ayant reçu 30 mg/24 h d’isotrétinoïne, l’apparition de seconds
cancers n’était pas significativement diminuée par rapport au
groupe n’ayant pas reçu de traitement. Ces résultats sont en
accord avec une étude française du GETTEC (Groupe d’étude de
tumeurs de la tête et du cou) [68] (grade B), qui avait montré
l’absence de bénéfice de l’administration d’un rétinoïde pour
prévenir l’apparition d’un second cancer.
Immunodépression
Dans la population des patients infectés par le VIH (virus de
l’immunodéficience humaine), le taux de cancers, toutes localisations
confondues, a tendance à augmenter ; les cancers des
VADS n’échappent pas à cette évolution épidémiologique [69].
Plusieurs explications sont possibles :
l’augmentation de la longe´ vite´ lie´ e aux traitements
antiviraux ;
l’immunode´ pression qui favorise l’apparition de le´ sions
pre´ ne´ oplasiques susceptibles de de´ ge´ ne´ rer en cancer, comme
cela avait e´ te´ de´ montre´ de` s la fin des anne´ es 1980 [70] ;
la fre´ quence e´ leve´ e de l’intoxication alccolotabagique et
l’addiction pour les stupe´ fiants, dont le cannabis, pour une part
des patients infecte´ s.
Facteurs professionnels
Les facteurs professionnels sont difficiles à apprécier, car souvent
étudiés dans des populations de patients ayant un cancer
des VADS, rarement dans des études cas-témoins. Il est difficile
de faire la part des choses entre l’intoxication alcoolotabagique
et l’exposition à un éventuel toxique, ce d’autant que les
patients sont le plus souvent incapables de préciser à quelle
exposition ils sont soumis, du fait d’activités multiples avec des
postes de travail variables. Le facteur « temps » est également
à prendre en compte. Les études toxicologiques étant souvent
rétrospectives, le facteur temps est difficile à évaluer. C’est dire
qu’il faut prendre avec beaucoup de précautions les données
sur les expositions professionnelles dans ce type de cancers.
Quelques études ont observé un rôle pathogène à certaines
expositions comme les métaux, en particulier le nickel [71], les
polyvinyles [72], les vapeurs de diesel [73], les aérosols d’huile
[74] et enfin l’amiante [75]. Bien connue pour être la cause de
nombreux cancers du poumon et de la plèvre, l’amiante est
donné, dans les travaux de Muscat, comme facteur d’une
élévation modérée mais non significative de la fréquence
des cancers des VADS ; en revanche, il est prouvé que l’exposition
augmente le risque chez le sujet tabagique [76] (grade
C).
Il ressort de notre analyse de la littérature que :
l’essentiel des publications cliniques et fondamentales portait
sur le tabac et l’alcool ;
pour les autres facteurs de risques identifie´ s, les publications
e´ taient anciennes, en particulier en ce qui concerne les facteurs
nutritionnels et professionnels ;
la plupart des publications cliniques avaient un faible niveau
de preuve scientifique (grade C, niveaux 3 et 4).
Discussion
L’analyse des résultats traduit le retard qui a été pris en ce qui
concerne l’analyse des facteurs de risque des cancers des
VADS ; ils soulignent la nécessité de combler ce retard par le
biais d’études incluant un grand nombre de patients, de façon
prospective, en ayant recours à des analyses statistiques approfondies
multivariées et ce, dans le but de faire ressortir
l’impact de chacun des toxiques sur l’incidence des cancers des
VADS. Cela suppose une prise de conscience de la part de
l’ensemble des médecins qui prennent en charge ce type de
cancer, en particulier les spécialistes d’organes que sont les
otorhinolaryngologistes et les chirurgiens maxillofaciaux, de la
nécessité de rechercher par l’interrogatoire d’autres facteurs de
risque que le tabac et l’alcool.
Ceci suppose également une collaboration entre ces spécialistes
d’organes mais également les médecins généralistes, les
épidémiologistes, les nutritionnistes et les médecins du travail.
À l’heure actuelle, ce type de collaboration n’est pas optimal, du
moins en France. Or il est impératif de colliger un maximum de