samedi 17 septembre 2011

La résorption mandibulaire, une manifestation méconnue de la sclérodermie systémique


3 ans. Plusieurs dents étaient mobiles en rapport avec l’élargissement
du ligament alvéolo-dentaire. La recherche d’anticorps
anti-Scl 70 était positive. Les radiographies de la mandibule trouvaient
une résorption osseuse marquée des deux angles mandibulaires
et des lésions d’arthrose de l’articulation temporomandibulaire.
La patiente est décédée après six mois dans un
contexte de décompensation cardiaque globale.
Discussion
Nous rapportons deux observations de ScS diffuse sévère avec
résorption mandibulaire bilatérale.
La ScS est à l’origine d’une diminution de la survie et d’une incapacité
fonctionnelle marquée. Au cours de cette affection, l’atteinte
du visage est fréquente et peut être responsable d’une
gène esthétique et fonctionnelle. Parmi les différents facteurs
qui y contribuent, existent les lésions de sclérose cutanée,
l’amincissement ou l’effacement des lèvres, les télangiectasies,
la diminution de l’ouverture buccale, et plus rarement des phénomènes
de résorption de la mandibule.
Depuis la première description par Taveras en 1959 [4], à notre
connaissance, 57 cas de résorption mandibulaire ont été rapportés
au cours de la ScS [5]. Dans les études disponibles il n’y
a pas de relation établie entre la résorption mandibulaire et le
type de ScS, l’existence d’une atteinte viscérale, la durée d’évolution
de la maladie ou la survenue de lésions de résorption
osseuse dans d’autres territoires [6-9].
Les patients ayant des résorptions mandibulaires ont le plus souvent
des lésions de sclérose cutanée marquées au niveau du
visage et une limitation de l’ouverture buccale [6, 10]. Wood et
Lee [10] ont mis en évidence une corrélation positive entre
l’existence d’un amincissement de la membrane péri-odontale
et la survenue d’une résorption mandibulaire. Cependant,
d’autres études ont rapporté des résultats contradictoires sur ce
point [6, 8]. Il n’y a pas d’éléments prédictif de la survenue
d’une résorption mandibulaire au cours de la ScS. Il semble
cependant que la sévérité de l’atteinte cutanée et l’amincissement
de la membrane péri-odontale soient souvent retrouvés
en présence d’une résorption mandibulaire, comme chez
nos 2 patientes.
La physiopathologie de la résorption mandibulaire est incertaine.
Elle pourrait être la conséquence de lésions d’ostéonécrose
résultant d’une compression des vaisseaux par la peau scléreuse
et inextensible et/ou d’anomalies microvasculaires des muscles
s’insérant sur la mandibule [11]. La responsabilité potentielle de
la corticothérapie, prescrite à faible dose au long cours chez nos
deux patientes doit être discutée. Seule la patiente 2 avait reçu
une corticothérapie à forte dose (1 mg/kg/j) plusieurs années


auparavant. Jusqu’à présent, la corticothérapie n’a cependant
pas été incriminée dans la survenue de phénomènes de résorption
mandibulaire.
Les lésions de résorption osseuse intéressent le plus souvent
l’angle mandibulaire, les condyles ou l’apophyse coronoïde et
plus rarement le bord postérieur de la branche montante [5]. La
fréquence de la résorption mandibulaire est probablement sous
estimée: ainsi, les analyses radiographiques systématiques de
petites séries trouvent une prévalence de 9,5 % à 33 % [6-10,
12]. Le dépistage radiologique systématique de telles lésions
chez les patients sclérodermiques n’ayant pas de douleur de l’articulation
temporo-mandibulaire ou de trouble de l’articulé dentaire
est cependant probablement inutile, n’entraînant pas de
conséquence pratique.
Ainsi, la résorption de l’angle mandibulaire entraîne avant
tout, un retentissement esthétique avec apparition d’une
dépression à l’endroit du relief de l’angle mandibulaire
comme dans le cas de nos deux patientes. La résorption
condylienne peut conduire à la survenue d’une asymétrie de
l’ouverture buccale, d’un trouble de l’articulé dentaire, de douleurs
et de craquements lors de la mobilisation de l’articulation
temporo-mandibulaire [11]. La résorption de l’angle mandibulaire
peut, plus rarement, entraîner une névralgie du
trijumeau [13].
À notre connaissance, aucune prise en charge chirurgicale à
visée esthétique des résorptions de l’angle mandibulaire n’a été
proposée. En revanche, un traitement chirurgical de lésions
condyliennes peut être indiqué, permettant d’améliorer l’articulé
dentaire [5, 14]. Cependant, il est possible d’observer des
récidives après chirurgie [15].
La résorption mandibulaire au cours de la sclérodermie n’est pas
exceptionnelle et peut être invalidante aux plans fonctionnel et
esthétique. Cette atteinte n’est pas corrélée à la sévérité, la
forme ou la durée de la maladie.


Références


Hachulla E, Gressin V, Guillevin L, Carpentier P,
Diot E, Sibilia J et al. Early detection of pulmonary
arterial hypertension in systemic sclerosis:
A French nationwide prospective multicenter
study. Arthritis Rheum 2005; 52: 3792-800.
2 Steen VD, Medsger TA. Long-Term Outcomes of
Scleroderma Renal Crisis. Ann Intern Med 2000;
133: 600-3.
3 Steen VD, Medsger TA. Severe organ involvement
in systemic sclerosis with diffuse scleroderma.
Arthritis Rheum 2000; 43: 2437-44.
4 Taveras JM. The interpretation of radiographs.
Disorders of the temporomandibular joint.
Philadelphia: WR Saunders,1959: 154-62.
5 Haers PE, Sailer HF. Mandibular resorption due
to systemic sclerosis. Case report of surgical correction
of a secondary open bite deformity. Int
J Oral Maxillo-fac Surg 1995; 24: 261-7.
6 Seifert MH, Steigerwald JC, Cliff MM. Bone
resorption of the mandible in progressive systemic
sclerosis. Arthritis Rheum 1975; 18: 507-12.
7 White SC, Frey NW, Blaschke DD, Ross MD,
Clements PJ, Furst DE, Paulus HE. Oral radiographic
changes in patients with progressive systemic
sclerosis. J Am Dent Assoc. 1977; 94:
1178-82.
8 Marmary Y, Glaiss R, Pisanty S. Scleroderma:
oral manifestations. Oral Surg Oral Med Oral
Pathol. 1981; 52: 32-7.
9 Bassett LW, Blocka KL, Furst DE, Clements PJ,
Gold RH. Skeletal findings in progressive systemic
sclerosis. Am J Roentgenol. 1981; 136:
1121-6.
10 Wood RE, Lee P. Analysis of the oral manifestations
of systemic sclerosis. Oral Surg Oral Med
Oral Pathol. 1988; 65: 172-8.
11 Ramon Y, Samara H, Oberman M. Mandibular
condylosis and apertognathia as presenting
symptoms in progressive systemic sclerosis
(scleroderma). Pattern of mandibular bony
lesions and atrophy of masticatory muscles in
PSS, presumably caused by affected muscular
arteries. Oral Surg Oral Med Oral Pathol. 1987;
63: 269-74.
12 Rout PG, Hamburger J, Potts AJ. Orofacial radiological
manifestations of systemic sclerosis.
Dentomaxillofac Radiol. 1996; 25: 193-6.
13 Fischoff DK, Sirois D. Painful trigeminal neuropathy
caused by severe mandibular resorption and
nerve compression in a patient with systemic
sclerosis: case report and literature review. Oral
Surg Oral Med Oral Pathol. 2000; 90: 456-9.
14 Thaller SR, Cavina C, Kawamoto HK. Treatment
of orthognathic problems related to scleroderma.
Ann Plast Surg. 1990; 24: 528-33.
15 Kerstens HC, Tuinzing DB, Golding RP, van der
Kwast WA. Condylar atrophy and osteoarthrosis
after bimaxillary surgery. Oral Surg Oral Med
Oral Pathol. 1990; 69: 274-80.